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Hi dad, I'm trans ! Hi Trans, I'm dad !

Papa, je suis trans ! Bonjour Trans, moi c'est papa !

Le coming out de Maël tel que vécu par son père


Trigger warning/Avertissement : Ce texte contient des passages où l'on aborde la notion de «deuil» que ressentent certaines personnes par rapport à la personne qui fait son coming out en tant que personne trans ou non-binaire.


Afin de vous offrir un plus large éventail des différents vécus face au coming out d'un enfant trans, on vous explique de quelle manière, Mario, le père de Maël et le conjoint de Geneviève, a vécu le coming out de son fils.


Mario étant un homme qui écoute plus qu'il ne parle, nous sommes très reconnaissants qu'il accepte que nous vous partagions cette entrevue et c'est avec gratitude que nous le faisons.


Il nous y parle de son cheminement au travers les différentes étapes au tout début de la transition sociale de Maël. Il y aborde ses peines, ses peurs et son vaste changement de paradigme, la manière dont sa représentation du monde et sa manière de voir les choses, se sont transformées depuis le coming out de son garçon.


Bonjour Mario,


Bonjour Geneviève,


Est-ce que tu acceptes qu'on parle du coming out de ton gars ?


Oui.


Toi tu l'as vécu comment le coming out de Maël ?


Eh, je ne le sais pas, c'est dure à dire...


Tu n'étais pas dans l'auto lorsque Maël a fait son coming out.


Non, je n'ai pas vu le coming out, c'est toi qui me l'a dit et lorsque tu me l'as dit, sur le coup, je n'ai pas eu de réaction, ou peu de réaction, parce que Maël n'était pas là.


Ce n'est pas clair le déroulement des premières journées, ce qui c'est passé. Je sais qu'après, plus tard, j'ai eu de la peine, ça c'est vrai, mais le coming out comme tel, je n'en ai pas un souvenir précis. Je me rappelle que tu m'en parles, après je vais voir Maël et je le prends dans mes bras, ça je le sais, je lui dis que je vais tout le temps être là pour lui. Mais c'est très, très vague ce qui c'est passé ensuite.


C'est quoi pour toi le point tournant, le moment où tu as vraiment compris ou capté les intentions de Maël et comment il s'identifiait ?


Le point tournant c'est le début des démarches au mois de janvier pour tous les changements de noms et les changements de papiers. Après, de février à mars, c'est une période creuse. Il a fallu que je me remette en question et que je me pose des questions.


Quand tu dis les changements de papiers, tu parles des changements à l'école ?


Oui, à partir de là il y avait quelque chose d'officiel, ça devenait tangible, ça devenait réel. De décembre à janvier j'ai plus pris ça comme un ado qui se cherche, ça serait les bons termes, «comme un ado qui se cherche». On a tous été ado et on s'est tous cherché. Je l'ai plus pris comme ça.


Tu n'avais pas compris qu'il s'était trouvé ?


Non, pas au début, jamais ! Qu'il me dise qu'il était gai ça n'aurait rien changé, c'était pas un problème. Bi , ça n'aurait rien changé non plus, mais qu'il ait une transidentité ça ne «computait» pas, point, ce n'est pas que je n'aimais pas Maël, c'est juste que les fils se touchaient, ou les fils ne se touchaient pas plutôt (rires). De là l'idée de perdre quelqu'un sans perdre quelqu'un.


Aujourd'hui je suis capable de te dire que c'était ça. Sur le coup, probablement que j'avais la tête dans mon oreiller et que j'essayais de me poser des questions pour trouver ce qui s'était passé. Encore aujourd'hui, je m'en pose des questions, mais pas sur «comment il se sent» et pas sur «comment il est», ça c'est fait, c'est réglé.


Sur les forums des groupes de parents d'enfants trans, dans les groupes supports, chez les parents que je croise ailleurs aussi, il y a plusieurs personnes qui me disent vivre une forme de deuil. Certains ne le vivent pas, certains le vivent et il y en a d'autres qui le vivent très profondément, ça devient une détresse importante chez le parent dans certains cas. Tu dis que tu as eu de la peine, comment ça c'est passé pour toi ? Elle venait d'où cette peine là ?


C'est différent pour tout le monde, j'avais besoin de comprendre ce qui se passait et avec ton aide j'ai réussi à comprendre, parce que toi, tu t'es mise à lire, beaucoup, beaucoup, sur tous les sujets inimaginables qui ont rapport à ça [la transidentité]. Je n'ai pas ce besoin de lire, mais j'ai besoin de comprendre, de me le faire expliquer.


Avec toi, avec Enfant Transgenre Canada (ETC), d'aller aux rencontres, d'entendre d'autres parents parler, tu réussis à te faire une tête, tu mets des perspectives là où il n'y en n'a pas parce que tu ne connais pas le sujet.


Il n'y a personne qui est prêt à recevoir ce type de confidence [coming out] de la part d'un enfant, encore moins quand c'est le tien. Il y a plusieurs réactions possibles. La mienne : j'ai eu de la peine, j'ai eu l'impression de perdre mon enfant, du moins une partie. Jusqu'à ce que tu me dises une phrase, la phrase c'est : «Je ne cherche pas où mon enfant est dans les photos ou dans les souvenirs, je cherche où mon enfant était.» Je me suis mis à chercher Maël partout dans l'historique, partout dans les souvenirs que j'avais de mon enfant.


Ce que je t'avais dit c'est qu'au lieu d'essayer de trouver ma fille dans mon gars, j'essaie de trouver mon gars dans ma fille et partout dans mes souvenir j'essaie de voir où était Maël à tel ou tel autre moment.


Exactement, pour moi c'est ce qui a fait le déclic, à partir de ce moment là tout c'est remis en chemin et dans le bon sens, je n'ai plus vu Maël comme étant ma fille, j'ai vu Maël comme étant mon garçon et partout j'étais capable de retrouver Maël et bien il était là ! Il a toujours été là en fait. C'est ma fille qui portait un masque.


Ta fille c'était un masque dans le fond ?


Oui complètement !


L'allégorie du masque elle est forte chez nous parce que Maël le dit comme ça : «Je portais un masque... j'ai porté un masque.»


Oui Maël se définissait de cette manière, en parlait beaucoup. J'ai repris cette allégorie, à partir de là, il n'y avait plus de deuil, ce n'est pas : j'ai terminé mon deuil. C'est : il n'y a plus de deuil. Il n'y avait plus de raisons d'être triste.


Je me souviens, à la première rencontre à ETC tu as dit : «J'ai quatre enfants», on en a trois dans les faits, mais je me souviens qu'à la première rencontre tu as dit : «J'ai quatre enfants».


C'est vrai, et à ce moment là j'avais quatre enfants.


Tu étais en train de perdre ta fille et ça te chamboulait, ça te virait à l'envers.


Oui, parce que je pense que personne n'aime faire un deuil, parce que ça veut dire que tu enterres quelqu'un, tu ne veux pas enterrer ton enfant. Il n'y a pas un parent qui veut enterrer son enfant peu importe pourquoi.


En même temps, il n'y a pas de corps à enterrer, ce n'est pas un décès.


Donc tu n'es pas capable de finir ton deuil. C'est pour ça que je dis : je n'ai pas terminé un deuil dans le sens de quelqu'un qui passe par dessus et reprend sa vie, le deuil il n'y en avait plus. Il y avait une absence de deuil.


Ce déclic est important et pour être capable de se rendre là, il y a plusieurs chemins, mais un des chemins que j'ai pris c'est d'être capable d'en parler, d'être capable d'écouter d'autres personnes. Je ne suis pas celui qui parle le plus mais je sais écouter. En écoutant tes proches, en écoutant d'autres qui ont vécu des situations semblables, similaires, tu réussis à te faire une tête, tu réussis à te former [éduquer] et à te sortir de tes biais.


Qu'on le veuille ou non, tout le monde a des idées préconçues de ce qu'est la transidentité, la non-binarité, la différence de genre. Une fois que tu as réussi à accumuler suffisamment de bagages, comme Maël a réussi à accumuler assez de connaissances, de mots, de paroles pour être capable d'expliquer qui il est, tu te fais un raisonnement.


Ce n'est pas tout le monde qui part du même point, ce n'est pas tout le monde qui va arriver au même point et le cheminement aussi sera différent, mais en tant que parent je pense que c'est une obligation de faire l'effort de comprendre qui est ton enfant. Tu as des enfants, c'est pour être capable de les aider au maximum de ce que tu es capable de faire, et pour les aider il n'y a pas cent manières : trouve l'information, éduque toi et à partir de là, parle avec lui.


Dirais tu que c'est important que l'enfant sache que tu as de la peine et que tu vis un deuil ou, au contraire, qu'il ne faut pas que l'enfant sache que tu vis un deuil ? Comment le vois tu cet aspect là par rapport au jeune qui transitionne ?


Je ne le sais pas. Je te parle là et j'ai de la peine , donc je ne le sais pas.


Tu as de la peine pourquoi ?


Parce qu'il n'y aura rien de facile pour lui.


Mais ce n'est pas le même type de peine ça.


Ce n'est pas grave, ça fait partie de ce que j'ai appelé le deuil.


Parce que ça, moi aussi je l'ai vécu. Avoir de la peine. Moi j'avais de la peine à cause de la souffrance qu'il avait vécue et de celle qu'il allait potentiellement vivre, mais en même temps nous ne sommes pas devins, on ne le sait pas ce qu'il va vivre, peut-être que c'est le contraire, peut être qu'il n'aura jamais de trouble [difficultés] et qu'il va briser toutes les barrières.


Je lui souhaite et je vais être là pour ça c'est sur ! Je n'ai pas de la peine parce qu'il est trans, j'ai de la peine parce que je ne veux pas qu'il ait de trouble, mais c'est vrai de tous mes enfants.


Je pense aussi que c'est social, c'est de ce retourner vers les autres et dire : «Aille ! Cause pas de trouble à mon enfant.»


Oui, peu importe l'enfant, c'est ce que je vais faire.


Pour en revenir à ma question, est-ce que le deuil on l'exprime à l'enfant ou pas ?


Est ce qu'on l'exprime à l'enfant ? (gros soupir)


Parce que je sais, pour en avoir parlé avec Maël, que c'est blessant pour la personne qui voit son parent en deuil alors qu'il est encore là et qu'au contraire il va mieux que jamais.


Moi je lui en ai parlé, de mémoire, il me semble que je lui en ai parlé. Est-ce que je lui ai dit que j'avais de la peine, je ne me souviens pas. Je lui ai dit que je ne me sentais pas bien. Je l'ai surement blessé, surement. Est-ce qu'on lui en parle ? Avec le recul, je te dirais que non. Demain matin si j'ai à refaire ça, je te dirais que non.


À qui on en parle dans ce cas ? On ne peut pas rester avec ça, parce que ça fait mal pour vrai.


Comme j'ai dit : à son entourage, à son compagnon, sa compagne de vie, les lignes d'écoute, psychologue, les ressources comme ETC, Transestrie, etc. Est-ce qu'avoir été seul j'aurais fait cette démarche là au complet ? Je ne le sais pas, c'est toi qui m'a aidé.

C'est un gros, gros, gros cheminement pour moi. Je suis parti de : «Ah oui ! ça existe» à «Ok je comprends et je veux défendre». Il y a un méchant gros saut entre les deux , et ça a changé ma perception au complet du reste de la société. De tout !


On était dans un mode très binaire : gars-fille. On ne s'en rendait même pas compte parce qu'on n'a jamais été «challengé» [défiés] là-dessus personnellement et tout d'un coup tu es le premier à dire il n'y a pas juste ça dans la vie, c'est un spectre et tu le défends au maximum !


Oui et je vais le défendre ! Ça m'a permis d'ouvrir les yeux et mon raisonnement sur un paquet de biais que la société a en général. Que ça soit pour le féminisme, pour l'homophobie, pour la transphobie, le racisme, nomme les ! Il s'est ouvert une porte de connaissances que je savais être là. Je n'ai quand même pas des œillères au point de ne pas comprendre que ça existe, mais il y a une différence entre comprendre que ça existe et réaliser de quelle manière c'est mis en place. C'est ce qui a mis fin au deuil.


À force de lire, à force d'écouter, à force de voir le monde réagir, toutes les jokes de «mononcle» qu'il y a la job, tout le sexisme qui est institutionnalisé. J'ai compris à partir de là ce qu'est le «white man privilege». Le gars blanc, caucasien, éduqué, ou non, tout ce que ça lui donne comme avantage versus le reste de la planète. On est dans des pays qui sont colonisés et je pense, que même quelqu'un comme moi qui se retrouverait dans des pays africains où il serait en minorité, il aurait les mêmes types d'avantages parce que c'est aussi des pays colonisés.


Ça ne veut pas dire que tu ne vis pas des difficultés personnelles liés, par exemple, à ton rang socio-économique, mais comme homme blanc, tout d'un coup, ça t'a fait réaliser tout ce que tu avais comme privilèges.


Comment tu vis ça que ton fils n'ait pas les mêmes droits que toi ? C'est un homme blanc, mais il est transgenre et ça, ça lui enlève des droits, de quelle manière tu vois ça ?


C'est de là qu'elle vient la peine que j'ai, on n'est pas encore là, il faut que tu continus à te battre. Ce n'est pas ma place de me battre pour eux (les personnes trans), par contre je vais toujours continuer à les appuyer, je vais me battre avec eux. Je ne peux pas me battre pour eux, je ne peux pas prendre la décision de me battre pour lui, et ça, ça me fait de la peine.


Tu monterais au front et tu irais grafigner ?


J'irais casser des gueules, mais ce n'est pas ma place de le faire et justement, de le faire me mettrait en position d'autorité, me mettrait en position de pouvoir face à eux, et ce n'est pas ce que je veux. C'est à eux de revendiquer et de prendre la place, moi je vais les appuyer.


Tu passes le micro. On te donne le micro parce que tu es un homme blanc et tu prends le micro et tu le donnes à ton gars.


C'est pas à moi ! Par contre, partout où il va aller je vais aller me battre, ils vont m'avoir dans la face.


À l'école ils t'ont dans la face.


À l'école pour avoir des toilettes non genrées, avoir des places pour se changer, que les professeurs aient une formation aussi mince soit-elle, partout où c'est nécessaire.


Tu ne te compares pas au plus faible, tu te compares au meilleur. Et en te comparant au meilleur, tu essaies d'améliorer la vie de tout le monde. Améliorer la vie de tout le monde, c'est justement prendre le risque de recevoir des coups, pour que ceux qui ne sont pas capables de les prendre, n'aient pas à les prendre. C'est ça. C'est là que je suis rendu dans ma vie.


T'as fait beaucoup de chemin depuis le mois de novembre 2018 ! (rires)


Hum... quand même, quand même. Ce n'est pas un mauvais chemin en plus, des fois c'est dur, des fois c'est moins dur, mais ce n'est pas un mauvais chemin. Je pense que j'en sors très grandit, je suis humainement plus ouvert. Je laisse passer moins de conneries, je ne dis pas que je les prends tous, tu n'es pas capable de tous les prendre, il faut que tu choisisses tes combats. Présentement, ce combat là vient me chercher personnellement, donc, oui je suis dedans. Au travail, dans la rue, je n'en laisse plus passer ou j'en laisse moins passer, c'est quelque chose que je faisais, mais disons que ça a mis d'autres perspectives.


On est fort de ça, parce que comme fille quand on parle, quand on rabroue un «vieux mononcle» qui fait des jokes connes, on se fait dire qu'on est des féministes frustrées. Nous autre aussi ont paie pour, tandis qu'un homme blanc avec une grosse barbe qui dit : «Aille mononcle les nerfs», ça passe plus facilement.


C'est sur ! Je me serais battu pour n'importe lequel de mes enfants et pour toi aussi, mais disons que ça, ça a ouvert beaucoup de portes. Ça a ouvert une dimension que je connaissais moins, que je voyais en me disant : oui mais, tout le monde est égale, tout le monde à des droits ! C'est vrai que si tu regardes la loi, tout le monde a des droits, ce sont les droits humains, mais ce n'est pas vrai qu'ils sont respectés.


Il y a une différence entre la législation qui dit : «tu n'as pas le droit de discriminer» et quelque chose qui te permet d'aller en cour pour te battre, il y a une grande marge.


Même chose pour avoir le droit d'être qui tu es à l'école, de t'afficher comme tu es sans te faire écœurer. Non, tu n'iras pas en cour pour ça, il y a des moments que tu devrais, mais la plupart des gens vont dire : «Ah ! je ne veux pas faire de trouble !» Moi je dis «non» maintenant, face à une organisation, face à une institution, je ne vais pas faire du trouble, je vais aller défendre des droits qui sont là, les faire respecter. C'est là que je suis rendu.


Merci...


De rien (rires).


Au contact d'autres parents qui comme lui vivaient une forme de deuil, mais aussi au contact de d'autres personnes qui n'en vivaient pas, Mario a pris le temps de définir ce qui lui causait une aussi grande souffrance et de quelle manière il devait se servir de ses nouveaux acquis pour progresser au même rythme que Maël.


Du moment qu'il cesse de percevoir Maël comme étant «sa fille» et qu'il le perçoit comme étant son garçon, le deuil disparaît.


Au travers de ses découvertes, il réalise que la transphobie vécue par Maël est intimement liée au sexisme véhiculé par notre société et réalise qu'il existe une variété de discriminations plus ou moins institutionnalisées qui empêchent Maël de jouir pleinement de ses droits comme plusieurs autres personnes issues des différentes minorités sexuelles et autres.


Il se place aux côtés de son enfant et tente, en lui tendant une main grande ouverte, de faire avec lui un monde meilleur et plus juste.

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