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«Juste» une mère

Ou l'histoire de la lettre du 26 novembre 2020

«This is a March NOT a Parade !», t-shirt de la marche Trans 2019

Quand j'écris la lettre qui paraitra le jeudi 26 novembre 2020 dans la section Débat de la Presse plus, je l'écris avec mes trippes.


C'est vrai, je suis «juste» une mère qui essaie de défendre son enfant. Ses enfants. Quand on s'en prend à mes enfants, je suis comme n'importe quelle mère, je deviens immense et hors de moi. Ça me sert le cœur et ça me fait péter les veines du cou.


Cette fois là on s'en prend à l'existence même de mon enfant. C'est essoufflant justifier son existence. Selon l'opinion des gens qui ont écrit cette lettre là, j'ai mal agit en lui sauvant la vie, en l'accueillant tel qu'il est, en cherchant avec lui les meilleurs soins pour qu'il vive le mieux possible. J'aurais dû attendre (ils accordent uniquement de la valeur à l'approche d'attente vigilante et à aucune autre).


Quand j'ai lu un appartement sur Uranus de Paul B. Préciado, j'ai été particulièrement touchée par un passage de la chronique : «Qui défend l'enfant queer ?» Il y parle de son enfance en Espagne, dans sa famille hétérosexuelle catholique de droite. Et puis il y a ce passage : « [...] Il nous fallut beaucoup de temps, de conflits et de blessures pour dépasser cette violence. Quand le gouvernement de Zapatero proposa, en 2005, la loi du mariage homosexuel en Espagne, mes parents, toujours catholiques pratiquants de droite, ont manifestés en faveur de cette loi. Il ont voté socialiste pour la première fois de leur vie. Ils n'ont pas manifesté uniquement pour défendre mes droits, mais aussi pour revendiquer leur propre droit à être père et mère d'un enfant non-hétérosexuel. Pour le droit à la parentalité de tous les enfants, indépendamment de leur genre, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Ma mère m'a raconté qu'elle avait dû convaincre mon père, plus réticent. Elle m'a dit «nous aussi, nous avons le droit d'être tes parents».


Les manifestants du 13 janvier n'ont pas défendu le droit des enfants. Ils défendent le pouvoir d'éduquer les enfants dans la norme sexuelle et de genre, comme présumés hétérosexuels. Ils défilent pour maintenir le droit de discriminer, punir et corriger toute forme de dissidence ou de déviation, mais aussi pour rappeler aux parents d'enfants non-hétérosexuels que leur devoir est d'en avoir honte, de les refuser, de les corriger. [...]»


C'est ce que j'avais en tête en écrivant ma lettre à la rédaction de La Presse ce matin là. Mon droit à aimer et à soutenir mon enfant trans. Mon droit à le trouver fabuleux, exceptionnel, magnifique. Mon droit à célébrer avec lui son unicité et à défendre ses droits.


Ce qui le rend différent et marginalisé ce sont les normes. Mon fils est marginalisé parce qu'on lui répète ad nauseam qu'il ne fait pas parti de la norme et qu'en dehors d'elle, rien n'est valide.


Une fois la lettre envoyée, je croyais que tout s'arrêterait là. Aucune réponse à la lettre du 19 novembre n'était apparue dans les médias officiels. J'étais vraiment heureuse de la mobilisation que ma lettre avait créé : ma famille, mes ami.e.s, des mamans, beaucoup de mamans, des papas et puis mon grand, qui disaient tou.te.s à La Presse, ça suffit, c'est assez de casser du sucre sur le dos des enfants trans, de nos enfants.


Je me suis dit que ça allait mourir au feuilleton, parce qu'au fond c'est assez superficiel comme impact, une éraflure peut-être. Puis j'ai été contacté par La Presse, le rédacteur voulait que la lettre paraisse à la section Débat.


Qu'est-ce que je fais ? Est-ce qu'ils ont besoin de mon autorisation pour publier ? Est-ce qu'ils vont aussi publier la lettre de Florence Ashley ? Les gens qui ont signé avec moi, est-ce qu'ils sont d'accord ? De quelle manière pitoyable vais-je me faire descendre sur la place publique pour avoir osé tenir tête à El Mabrouk et les cosignataires de la lettre du 19 novembre ?


Alors j'ai parlé avec les gens qui avaient cosignés et avec Antoine, qui lui m'a dit de parler à Florence, alors je l'ai texté pour lui demander son avis. Ce que j'ai retenu c'est qu'il valait mieux la publication de notre lettre que rien du tout.


Quand j'ai demandé au rédacteur de la section Débat pourquoi La Presse n'avait pas publié la lettre de Florence Ashley, il m'a répondu que : «difficile de répondre à votre question concernant la publication d'une lettre spécifique. Nous recevons quelque 200-300 lettres par jour: pourquoi n'avons-nous pas publié celle de Mme Ashley, et pourquoi cette journée-là n'avons-nous pas publié les 40 autres lettres bien écrites et pertinentes?


Je sais pertinemment que je fais plus de malheureux que d'heureux: les personnes non publiées me le rappellent régulièrement. Notre guide pour publier est en fonction de l'actualité, de l'argumentaire, du timing, de l'espace disponible, de la diversité d'opinion.»


On pourrait donc ce demander maintenant : «Pourquoi avoir publié la lettre du 19 novembre la veille de la Journée du souvenir trans à la mémoire des personnes trans assassinées ?» 200 à 300 lettres par jour vraiment ? Et aucune qui abordait la Journée du souvenir trans ? Ou celle des droits de l'enfance ? Vraiment ? Il n'y avait de disponible cette journée là et qui rentrait dans les critères qu'une lettre aux propos réfutables ?


Je ne sais même pas s'il aurait été possible empêcher la publication de notre lettre. Mais au moins j'allais de l'avant avec l'impression que j'avais fait mon possible avec ce que j'avais. C'est-à-dire juste moi. Mon expérience à moi comme féministe, comme parent, comme personne soucieuse de la diversité de genre. Pas une scientifique, pas une juriste, pas une experte dans rien, juste quelqu'un qui lit le journal le matin sur son cell.


Je n'ai pas aimé prendre le micro à la place des autres. Erk ! Je ressens fortement le besoin de me justifier, je ne le voulais pas ce micro là. Notre objectif c'était de faire savoir notre opinion à la rédaction de La Presse, pas de faire publier la lettre.


Mais c'est à moi qu'on a tendu le micro, je fais quoi ? Je ne sais pas chanter, c'est de famille, je tiens ça de mon père. Alors j'ai parlé en chœur avec d'autres pour dire que j'avais vraiment hâte que mon fils ait les mêmes droits que son frère et sa sœur, qu'on arrête de donner la parole à des gens qui ne connaissent rien à rien aux réalités trans et qu'on commence à donner de l'importance aux écrits et aux paroles des gens concernés, ça urge!


J'ai beau me répéter que c'est correct de l'avoir fait, une part de moi reste très en colère que la lettre de Florence Ashley n'ait pas eu la même visibilité que la nôtre, que La Presse ait pris la décision de miser sur un «cat fight» de parents pour générer des clics plutôt que d'opter pour la science, les faits et la raison.


Je prends le temps encore une fois de vous suggérer fortement la lecture de la lettre de Florence Ashley qui a fini par paraitre dans le Huffington Post et qui est d'abord parue sur le site Medium.


Je vous laisse avec la version de la lettre que nous avons fait parvenir à la rédaction de La Presse après qu'on nous ait annoncé qu'elle serait publiée. J'ai aussi ajouté les signatures de celleux qui voulaient ajouter leurs noms mais qui n'avait pas eu le temps de le faire.


J'ai gardé les signatures anonymes, ce que La presse n'a pas voulu faire. Je comprends cet aspect, on peut en pondre à l'infini des signatures anonymes. Je connais les gens qui veulent protéger leurs enfants derrière ces signatures et je les comprends.


Il y a aussi un lien vers un article, entre autre, qui n'apparait pas dans la version publiée dans La Presse plus. C'est un article qui démonte le mythe du 80%. (Note de l'autrice : Le lien vers l'article apparaît maintenant dans la publication de La Presse Plus, du moins c'est ce que l'on pouvait constater aujourd'hui en date du 11 janvier 2021.)


Je veux aussi dire merci aux gens qui ont signés la lettre comme cosignataires, merci du fond du cœur pour votre appui, votre amour, vous êtes magnifiques. Merci à celleux qui ont partagé notre lettre pour faire entendre un point de vu différent.


 

Lettre adressée à la rédaction de La Presse :


Encore une fois, alors que nous nous apprêtions à vivre de difficiles émotions liées à une date d'importance pour la communauté trans, nous allons devoir prendre de nos énergies pour nous mobiliser et faire face à une déferlante de transphobie.


Cette fois et sans surprises, avouons-le, c'est Nadia El Mabrouk, Christian Sabourin, Stella Mylonakis et François Dugré, membres d'un collectif ayant soumis un mémoire pour les projets de loi PL-70 et C-6 qui se donne le beau rôle de nous faire la leçon sur les dangers des approches trans-affirmatives dans une lettre d'opinion intitulée «Des projets de loi aux enjeux cruciaux pour nos enfants» dans une rubrique faussement identifié «Identités de genre», parce qu'on n'y parle pas d'identité de genre, non en fait, on y parle de thérapies de conversion. Et ce que je sais, c'est que les auteurs sont obsédés par le bien être de mon fils.


Tellement obsédés qu'ils voudraient eux-mêmes planifier son parcours de soins auprès de professionnels qui favorisent une approche d'attente vigilante. Au delà des recommandations de la CPATH, du WPATH, de l'American Academy of pediatry, du DSM-5 et du CIM-11, de la chartes de droits et libertés du Québec et de celle de l'Ontario (pour ne pas nommer celle du Canada) et plus près de nous, celle de l'équipe de l'hôpital Sainte-Justine et celle du centre Meraki.


Selon eux tout ce beau monde se trompe, fait fausse route et se base sur des [...] études produites par des groupes de pression et hautement contestables [...] alors qu'ils nous présentent une seule étude, non pas [...] «contesté par la communauté LGBTQ» [...] qu'ils méprisent avec leurs guillemets, mais par des médecins, des chercheurs et des spécialistes du développement (voir le document ci-joint Bien renseigner les parents et le professionnels, rappel de porter attention à la santé des enfants transgenres et d'une diversité de genres, Canadian Famely Physician/ Le médecin de famille canadien vol. 64 mai 2018).


Ce qui m'effraie encore plus c'est qu'ils se cachent derrière une fausse sympathie pour les membres de la communauté LGBT en reconnaissant que l' [...] on ne peut qu'approuver l'interdiction de pratiques moyenâgeuses pour changer l'orientation sexuelle d'une personne. [...]


Si nous nous entendons sur un point, c'est bien ce dernier. Mais de vouloirs maintenir ces mêmes pratiques moyenâgeuses pour des enfants qui, comme mon fils sont trans, ne peut que me faire douter de cette pseudo solidarité.


Si vous avez pris le temps de publier cette lettre d'opinion un 19 novembre, la veille de la journée du souvenir trans, journée douloureuse pour plusieurs, j'ose espérer que vous ferez aussi de la place aux lettres qui vous serons envoyées par des spécialiste des réalités trans.


Je souhaite aussi que vous questionnez vos codes d'éthiques et votre prise de position dans la publication de lettres qui semblent évoquer une opinion démocratique mais qui sont remplies de haine des personnes trans, et surtout des enfants trans. Et ne croyez pas que ces écrits n'affectent en rien la santé mentale et le bien être de nos enfants assez vieux pour lire votre journal, mais trop jeunes et marginalisés pour être entendus de lui. La transphobie ils la subissent régulièrement, mais très certainement pas de la part des gens qui veulent mettre en place des lois qui tentent de les protéger.


Geneviève Ste-Marie, parent d'un enfant trans


Maël Ste-Marie-Raymond, personne trans


Mario Dionne Raymond, parent d'un enfant trans


Jacques Ste-Marie, grand-parent d'un enfant trans, sociologue


Réjane Demers, grand-parent d'un enfant trans


Élyse Leconte, parent d'un enfant trans, infirmière


Tamara Torres, mère d’un jeune trans


Erin Mulvaney, parent d'un enfant trans


Marc Chartrand, parent d'un enfant trans


Marie-Hélène Cousineau, mère d'un enfant trans


Marie-Soleil Pepin, mère d'un enfants trans


Stéphanie Bonham Carter, mère d'un enfant trans


Andrea Guzman, mère d'un jeune trans


Andra Canura, mère d'un enfant trans


Ariane Couture, maman d'un enfant trans, conjointe d'un homme trans


Aline Desrosiers, maman d'un ado trans


Nancy Ryan, maman d'un enfant trans


Rachel Dionne Raymond, tante d'un jeune trans


Marize Dionne Raymond, tante d'un jeune trans


Marie-Josée Brouillette, mère d'un enfant divergeant dans le genre Isabelle Blouin Gagné,


Karine Dicaire, mère d'un enfant trans


Alain Rousseau, père d'un enfant trans


Sylvie Archambault, mère d'un enfant trans, enseignante en adaptation scolaire dans un centre jeunesse


Isabelle Turcotte, maman d'un enfant trans


Louise Lavoie, maman d'une enfant trans


Virginie Stinat, parent


Yolaine Morneau, maman d'un enfant trans


Lucie Gaudreault, mère d'un jeune adulte trans


Jennifer DeLeskie, parent of a trans teenager


Annie Quimper, maman d'un ado trans


Caroline Perron, parent d'une jeune adulte trans


Mélanie Berthiaume, maman d'un enfant trans


Lisa-Marie Tessier, maman d'un enfant trans


Valérie Tremblay, parent d'un enfant trans


Ève Leclaire, fière maman d'un enfant non-binaire


Marie-Ève Bélisle, maman d'un enfant trans


Caroline Parenteau, maman d'un ado trans


Tori Allen, maman d'un enfant trans


Marine Turpin, maman d'un enfant trans


Isabelle Blouin-Gagne, parent d'un enfant trans


Nathalie Hervé, maman d'un jeune de 18ans trans


Odile Robert, mère d'un jeune trans


Caroline Jourdain, mère d'un jeune adulte trans


Martine Corbeil et Nicolas Pitre , parents d'un jeune homme trans


Annie Lelièvre, maman d'un adulte trans


Nathalie Blais, maman d'un adolescent trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité, parent d'un enfant trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité #2, parent d'un enfant trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité #3, parent d'un enfant trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité #4, parent d'un enfant trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité #5, maman d'une enfant trans


Personne souhaitant garder son anonymat pour des questions de sécurité #6, maman d'un adolescent trans


 

Note : En ce qui concerne la nouvelle lettre virulente pleine de larmes parue le 30 novembre dans La Presse et dans laquelle mon nom apparait, je n'ai que ceci à répondre : Les chiens aboient la caravane passe.

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