La notion de deuil chez le parent d'un enfant trans
Trigger warning/Avertissement : Ce texte contient des passages où l'on aborde la notion de «deuil» que ressentent certaines personnes suite au coming out d'un proche en tant que personne trans ou non-binaire. Nous y abordons aussi la notion de suicide.
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Tous nos premiers textes traitent de différents coming out que Maël à vécu et la manière aussi dont ils ont été reçu, par son père notamment.
Nous avons établit qu'il s'agit d'un événement charnière, qu'il y a un avant et un après coming out. C'est le cas du coming out à la famille, de celui à l'école également. À partir de ce point d'encrage nous développerons les différents aspects spécifiques à la transition de Maël mais aussi à des enjeux plus globaux des réalités trans et non-binaires. Le tout évoluera sur une échelle de temps nous permettant de situer les différents chemins empruntés par Maël et sa famille.
Nous le répéterons souvent, toutes les histoires sont différentes, mais c'est en écoutant les histoires des autres que les notre prennent du sens. C'est dans le récit de l'autre que l'on trouve nos repères, que l'on se questionne sur notre vécu qui est parfois si différent, mais toujours valide.
Mario a reçu de nombreux témoignages de soutien lors de la publication de son entretient. Son vécu touche les gens, il reflète le désarrois vécu par plusieurs face à l'inconnu et à la différence. Puis cette magnifique ouverture sur l'acceptation.
Dans son témoignage du coming out de son fils, Mario aborde un sujet délicat : La notion de deuil. Il s'agit souvent d'une émotion vive et vécue avec détresse. Nous avons exploré avec Mario la manière dont cette émotion l'atteint, lui d'abord, mais aussi de quelle manière il s'en défait.
Aujourd'hui nous vous invitons de l'autre côté du miroir. Comment, du côté de Maël, la détresse de son père affecte son questionnement identitaire et la perception qu'il a de lui-même. Puis comment cela affecte leur relation.
Nous ne mettrons jamais assez de gants blancs pour vous aviser de la délicatesse de ce sujet. D'un côté, celui qui fait son coming out et cherche à être respecté et accueilli tel qu'il est et de l'autre, le parent, qui reçoit ce coming out et qui vit des émotions semblables à celle d'un deuil.
L'un dit : «Regarde-moi, je me suis trouvé !»
Et l'autre réagit : «Je te perds, que se passe-t-il ?»
Et c'est là que naît toute la délicatesse du sujet. L'un est blessé et l'autre demande à ce que son émotion soit entendue et respectée au risque de retourner le premier au placard.
Lorsque l'enfant s'éloigne pour se protéger de la douleur que lui occasionne la peine de son parent, on le lui reproche parfois, alors que l'on glorifie, peut-être malhabilement le succès du parent à surmonter le deuil et à «accepter son enfant».
Mais quand, au fait, vit-t-on un deuil ? Le Larousse propose la définition suivante : Le deuil se définit comme état de douleur, l'affliction éprouvée de la mort de quelqu'un. Au sens figuré, grande tristesse, désolation. Mario l'exprime clairement dans son témoignage : «[...] je pense que personne n'aime faire un deuil, parce que ça veut dire que tu enterres quelqu'un, tu ne veux pas enterrer ton enfant. Il n'y a pas un parent qui veut enterrer son enfant peu importe pourquoi.»
Pourtant lorsque l'enfant fait une transition, il n'y a pas de perte de l'enfant. Maël compare cette étape à la transformation du papillon : «Quand la chenille devient un papillon, la chenille ne meurt pas, si elle meurt il n'y aura pas de papillon. L'enfant qui fait une transition ne meurt pas, il ne disparaît pas, il s'affirme.»
Son père accède, grâce aux groupes de soutient et de sa famille, au même constat : «En même temps, il n'y a pas de corps à enterrer, ce n'est pas un décès... Donc tu n'es pas capable de finir ton deuil. C'est pour ça que je dis : je n'ai pas terminé un deuil dans le sens de quelqu'un qui passe par dessus et reprend sa vie, le deuil il n'y en avait plus. Il y avait une absence de deuil.»
Pour plusieurs personnes trans l'impression de deuil que vivent certaines personnes dans leur entourage apporte davantage de détresse. Les quelques mois avant de faire son coming out à ses parents, Maël explique qu'il se trouve au plus bas de la pente. Quand il ouvre les yeux le matin il est déçu de ne pas être mort dans son sommeil. Il est anxieux, déprimé et a des pensées suicidaires. Au contact de d'autres jeunes issus de la communauté LGBTQ+ il trouve des points de repère et commence à se construire un langage qui le défini.
C'est lorsqu'il trouve les mots pour se dire qu'il fera son coming out à ses parents : «Au moment où j'ai fait mon coming out, j'avais besoin d'aide. J'étais mal. J'étais vulnérable. J'ai fait mon coming out parce que je voulais avoir du support. Papa a bien fait ça, il ne m'a pas fait sentir sa peine. Il ne m'a pas impliqué dans ça et c'est ce qu'il faut. Si j'ai besoin d'aide, je ne peux pas aider quelqu'un d'autre qui se trouve mal, surtout si j'en suis la cause.»
Il propose que les parents qui vivent un deuil par rapport à l'identité passé de leur enfant, évitent d'adresser leurs souffrances à leur enfant : «On a déjà un gros fardeau à porter, ce n'est pas à l'enfant de consoler son parent. Ce n'est pas non plus à l'enfant de faire preuve de compréhension face aux angoisses de son parent. On a besoin que notre parent nous rassure et qu'il nous écoute, qu'il nous accompagne dans nos démarches. À 13 ans j'étais totalement dépendant de vous sur le plan médical et sur l'accès à des groupes de support ou à des spécialistes. J'étais au bout de ce que je pouvais endurer.»
Il ne nit pas que ça puisse être difficile, pour les parents, émotivement : «Je ne dis pas que les parents doivent souffrir en silence, mais en présence de leur enfant il faut qu'il se retiennent, oui c'est vrai. Il faut qu'ils remontent leurs manches et qu'ils soient forts. Ça fait trop mal de voir son parent s'accrocher à quelqu'un qu'on n'est plus. Jamais personne n'aurait l'idée de retenir une chenille pour éviter qu'elle devienne un papillon. Je suis comme je suis c'est tout. Ce qui rend ça difficile c'est le manque d'acceptation social, les difficultés à obtenir des soins, les droits que l'on perd, le peu de considération et de valeur que l'on nous accorde à nous, les personnes trans, mais pas d'être nous-mêmes !»
Il est difficile pour le parent de se retenir, dans certaines circonstance, de laisser sortir l'émotion face à son jeune. Les questionnements sont parfois existentiels. Mario à dû faire évoluer les paradigmes dans lesquels il était pour arriver à comprendre l'identité de son fils : «Ce n'est pas tout le monde qui part du même point, ce n'est pas tout le monde qui va arriver au même point et le cheminement aussi sera différent, mais en tant que parent je pense que c'est une obligation de faire l'effort de comprendre qui est ton enfant. Tu as des enfants, c'est pour être capable de les aider au maximum de ce que tu es capable de faire, et pour les aider il n'y a pas cent manières : trouve l'information, éduque toi et à partir de là, parle avec lui.»
Maël supporte cette approche, il explique que si l'enfant arrive à formuler une demande, par exemple, le changement de son nom d'usage, c'est qu'il y pense depuis longtemps et qu'il y travaille très fort : «Si le jeune arrive à nommer son besoin c'est parce qu'il a d'abord identifié son besoin et qu'ensuite il a trouvé le moyen d'y répondre. Alors le jour où il le formule à son parent c'est parce qu'il y a une urgence que ça se fasse.»
Nous n'avons pas toujours réagi promptement aux demandes de Maël. Nous avons eu notre lot de doutes et parfois nous avons tardé à répondre à ses besoins. Le nom d'usage est un bon exemple.
Maël nous avait demandé d'utiliser le prénom Maël plutôt que celui qu'il avait depuis sa naissance. Sa demande est venue rapidement après son coming out. Si pour Mario le déclic c'est fait avec le changement de prénom dans le réseau scolaire, pour moi le déclic c'est fait 2 mois plus tôt, le jour de Noël, quand ses grands-parents ont lu son prénom dans la carte qu'on leur a offert. Il faut savoir que Maël demandait depuis novembre que l'on fasse des efforts pour utiliser son prénom choisit et des pronoms masculins ou neutres.
Avant de pouvoir utiliser un prénom différent que celui qui est attribué à la naissance il faut d'abord le connaître puis le pratiquer. Je dois bien l'avouer, sur le coup, on n'a pas eu envie de pratiquer, ni de faire de véritables efforts. Après tout qui n'a pas déjà voulu changer de nom, surtout à l'adolescence. Et puis, ça passera, ce n'est qu'un caprice après tout...
Non. Ce n'est pas un caprice, c'est un besoin. Il a fallu que Maël insiste pour que l'on devienne proactifs. S'était déjà lui refuser un droit à ce moment là. Le droit à l'autodétermination.
Nos émotions brouillent parfois nos efforts à subvenir aux besoins de nos enfants et c'est pour cette raison qu'en cas de doute Mario et moi nous en remettons à la loi. Nous partons du principe que nous ne pouvons pas donner moins à nos enfants que ce que la loi prévoit. Non seulement nous y sommes tenus, mais nous ne souhaitons pas devenir les bourreaux de nos enfants.
Mario le mentionne dans son entretient : «[...] Ça a ouvert une dimensions que je connaissais moins que je voyais en me disant : oui mais, tout le monde est égale, tout le monde à des droits. C'est vrai que si tu regardes la loi, tout le monde a des droits, ce sont les droits humains, mais ce n'est pas vrai qu'ils sont respectés.»
Quand les droits d'un enfant trans sont brimés par ses parents, il est souvent impensable pour ce dernier de prendre des recours en justice surtout s'il vit sous le même toit que ces derniers. Après tout, il les aime probablement très fort et ne voudrait pas être celui qui «brise la famille». Se retrouver seul à 15 ans est un prix beaucoup trop élevé à payer pour la plupart.
Maël : « Le jeune qui ne reçoit pas d'aide de ses parents, il attend, il souffre en silence et il attend. Il attend le moment où il pourra être enfin lui-même. Des fois par contre, il meurt aussi. C'est vraiment insupportable.»
Les données les plus récentes concernant les jeunes trans et non-binaire au Canada sont révélés dans une enquête pancanadienne. On y aborde, entre autre, la nécessité du support parental : «Les jeunes bénéficiant du soutien de leur famille et fréquentant des écoles sécuritaires risquaient beaucoup moins d’indiquer avoir eu des pensées suicidaires. Cependant, près de deux tiers des jeunes trans et/ou non-binaires qui ont répondu à l’enquête ont indiqué qu’iels s’étaient automutilé·e·s (64 %) et/ou qu’iels avaient pensé à se suicider (64 %) au cours de la dernière année.» *
Le support des familles est indispensable auprès des enfants trans, il sauve littéralement des vies. L'implication des parents, à tous les niveaux, est nécessaire et les émotions vécues doivent parfois être mises de côté au profit de l'enfant pour qu'il reçoive tout le support nécessaire dont il a besoin.
Mettre ses émotions de côté ne veut pas dire de les dissimuler ou de les cacher pour toujours. Il faut éventuellement en prendre soin. Dans le guide A Resource Guide for Families of Transgender Youth : 2nd Edition , il y a une section sur les soins à prendre, d'abord pour soi, ensuite pour son enfant.
«It’s important to be honest with yourself and acknowledge what it is you’re feeling, even if you wish you didn’t have those feelings. To ignore feelings doesn’t make them go away, and will only delay the process of acceptance.
But…while it is important to be honest with yourself, think carefully about what reactions you share with your youth. Many people initially think, feel and say things they later realize aren’t true, or simply have shifted over time. But remember…you can’t un-ring a bell…and likewise, it is impossible to take hurtful words back.
At the beginning, it may be tempting to rely on your young person for support as you work out your feelings. That isn’t to say you shouldn’t have a place for your emotions – quite the opposite, in fact. Seek appropriate support from friends, other adult family members and professionals.»
(Traduction libre) «Il est important d'être honnête avec soi-même et de prendre connaissance de ses émotions même si vous souhaiteriez ne pas les ressentir. Ignorer ses émotions ne les fera pas disparaitre et cela ne fera que retarder le processus d'acceptation.
Mais... tout en étant honnête avec vous-même pensez soigneusement aux réactions que vous souhaitez partager avec votre jeune. Plusieurs personnes pensent, ressentent et disent des choses qu'ils réaliseront plus tard être fausses, ou simplement, qui auront changé au fil du temps. Mais souveniez vous... vous ne pouvez pas défaire ce qui a été fait («dé-sonner» la cloche)... comme il est impossible de reprendre des mots blessants.
Au début, il peut être tentant de s'appuyer sur votre jeune pour trouver du support pendant que vous travaillez sur vos émotions. Ce n'est pas pour dire que vous ne devriez pas faire de place à vos émotions, au contraire, en fait. Cherchez le support de vos amis, d'autres adultes de la famille et de professionnels.»
Le sentiment de deuil, la colère, la perte, la honte sont des sentiments difficiles à vivre. Ne rien faire pour s'en occuper est un pari risqué. Les partager avec son jeune qui vient de faire son coming out et qui se sent vulnérable n'est pas non plus la solution.
La notion de deuil est un sujet délicat qu'il faut aborder avec beaucoup de soins et un certain recul. Le faire alors que l'émotion est vive risquerait de blesser inutilement l'enfant concerné.
Maël : « C'est correct d'en parler maintenant. En fait, je ne le savais pas ce que papa avait vécu. Je suis content de ne pas l'avoir su. Je ne l'aurais pas supporté. J'avais juste besoin d'aide et de savoir que tout irait bien. J'avais besoin de pouvoir compter sur vous parce que j'apprenais à nager sans bouée, sans canot de sauvetage. Si quelqu'un s'était pendu après moi, nous aurions coulé.»
Et si Maël avait coulé, nous n'aurions pas vécu qu'un deuil, nous aurions vécu un drame.
Si vous vivez de la détresse par rapport à ce sentiment, ou pour une toute autre raison, d'un côté comme de l'autre, n'attendez pas pour aller chercher de l'aide. Les ressources existent et elles sont disponibles.
Liste des liens pour trouver de l'aide rapidement :
Suicide action Montréal : 1-866-277·3553, https://suicideactionmontreal.org/
Jevi : 819-564-1354, http://www.jevi.qc.ca/
Ligne d'aide Interligne : 1-888-505-1010, https://interligne.co/, interligne.co/clavardage
Jeunesse j'écoute : 1-800-668-6868, https://jeunessejecoute.ca/
Juripop : https://juripop.org/
* Être en sécurité, être soi-même 2019 : Résultats de l’enquête canadienne sur la santé des jeunes trans et non-binaires. Vancouver, Canada : Stigma and Resilience Among Vulnerable Youth Centre, Université de la ColombieBritannique
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